Essonne. Le système de « papa Dassault » face aux juges (05/10/2020)

Le procès pour achats de voix aux municipales de 2009 et 2010, à Corbeil-Essonnes, s’ouvre ce lundi. L’épilogue judiciaire d’une corruption instituée par l’ex-avionneur.

Séance agitée, au conseil municipal de Corbeil-Essonnes (Essonne), le 29 septembre. La sortie de Michel Nouaille, premier adjoint PCF, vient d’énerver la droite : « Je me porte partie civile au nom de la commune, au regard du préjudice d’image subi par la ville et pour celui d’avoir dû organiser trois élections municipales en trois ans. » À six jours de l’ouverture du procès pour « achats de voix » et « financements illégaux de campagne électorale », ce lundi 5 octobre, les conseillers « Les Républicains » s’offusquent d’une « mise en scène politique ».

Le principal accusé, pourtant, est absent. Jean-Pierre Bechter, 75 ans, maire LR de 2009 à 2020. Battu le 28 juin dernier par son opposant communiste historique Bruno Piriou, il a envoyé une lettre de démission au conseil municipal, qui devrait être prochainement effective. Il fait partie des sept personnes qui comparaîtront dès ce lundi, avec ses deux ex-adjoints Cristela de Oliveira et Jacques Lebigre, le comptable suisse Gérard Limat et trois intermédiaires présumés du « système Dassault » dans les quartiers : Younès Bounouara, Machiré Gassama et Mounir Labidi.

Sept prévenus et un fantôme, donc : Serge Dassault. L’avionneur milliardaire, sénateur-maire de Corbeil-Essonnes entre 1995 et 2009, aurait dû être convoqué au tribunal, mais son décès, le 28 mai 2018, a mis automatiquement fin à l’action publique à son encontre. C’est pourtant bien lui le grand artisan et le principal bénéficiaire de ce système présumé qui porte son nom.

L’affaire remonte aux municipales de 2008. Serge Dassault concourt pour un troisième mandat à la tête de cette commune de 51 000 habitants, dans le sud de la région parisienne. Le magnat du groupe qui porte son nom, spécialisé dans la vente de matériel militaire, occupe l’hôtel de ville depuis 1995, date à laquelle il a renversé le PCF, qui dirigeait Corbeil-Essonnes depuis plus de trente ans.

 

Un prête-nom en tête de liste

En 2001, Serge Dassault a été réélu confortablement dès le premier tour. Mais, cette fois, cela s’annonce plus compliqué. Non seulement l’élu de droite doit affronter un second round, mais il ne l’emporte qu’à une centaine de voix près face à la liste communiste. Puis, le 8 juin 2009, coup de théâtre. Le Conseil d’État invalide l’élection. Motif : des irrégularités dans les comptes de campagne de la liste de Serge Dassault. Est reproché au milliardaire d’avoir fait des dons d’argent « de nature à altérer la sincérité du scrutin » à destination d’habitants pendant la campagne. En clair, d’avoir acheté des votes.

Serge Dassault aurait mis ses immenses moyens personnels – 19 milliards d’euros l’année de sa mort, selon Forbes – à des fins électorales. Sofia Louze, nouvelle élue de la majorité, témoignait en juillet dernier dans l’Humanité que, à son arrivée en 2000, elle avait « entendu parler les jeunes et les parents qui évoquaient “papa Dassault”, qui payait les permis de conduire, les dettes de loyer, mais aussi les jeunes qui partent en vacances en Thaïlande… ».

Retour en octobre 2009. L’invalidation du scrutin de 2008 déclenche une municipale partielle. Serge Dassault, frappé d’inéligibilité, pousse son bras droit, Jean-Pierre Bechter, à lui succéder. Élu à 27 voix près face au PCF, le maire ne cherche pas à cacher qu’il n’est qu’un prête-nom pour permettre à son prédécesseur déchu de garder la main sur la commune. « Il fera tout et je ferai le reste », lâche-t-il, d’un air de défi, à la suite de son élection.

Joie de courte durée. Cinq mois plus tard, le 26 mars 2010, rebelote. Le tribunal administratif de Versailles invalide cette fois l’élection de Jean-Pierre Bechter, en raison de la présence sur le bulletin de vote de la liste Bechter de la mention « secrétaire général de la Fondation Serge Dassault ». De nature à créer une confusion, selon l’instance judiciaire. Jean-Pierre Bechter l’emporte néanmoins dans une nouvelle élection partielle, en décembre 2010, et est réélu en 2014.

Ce sont les deux scrutins partiels de 2009 et 2010 qui seront examinés à partir de lundi. Dans son réquisitoire de février 2019, le Parquet national financier a estimé à 6,4 millions d’euros en 2009 et plus de 10 millions d’euros en 2010 les fonds non déclarés versés pour les élections – une « entreprise de corruption généralisée de l’électorat exercée à un degré sans doute jamais atteint », selon la justice. La cible : les quartiers sensibles, où sont achetés votes et paix sociale contre des versements à des associations fantoches ou encore des promesses d’embauche à la municipalité, sans qualification.

La corruption sera allée jusqu’à déborder dans les pagesdes faits divers, début 2013. Un règlement de comptes au calibre .38 choque alors la ville, puis un second. L’une des victimes, qui échappe de peu à la mort, est un jeune qui avait voulu dénoncer le système d’achat de voix. Quant au tireur présumé, il s’agit de Younès Bounouara, le fameux relais de Serge Dassault dans les cités. L’homme de main, disent certains.

Après la chute politique du « système Dassault », voici donc l’heure de l’épilogue judiciaire. Le maire PCF Bruno Piriou, qui est à l’origine de la constitution de la ville en partie civile, en attend beaucoup : « Corbeil-Essonnes a été abîmée, il y a eu de la souffrance, des tentatives d’homicide. En voulant acheter une ville, Serge Dassault a empêché son développement, il l’a anesthésiée. Il y a des villes qui sont victimes du trafic de drogue, nous avons été victimes du trafic de l’argent d’un milliardaire. » 

Sources : L'Humanité

18:52 | Tags : dassault, corbeil, élections | Lien permanent | Commentaires (0)