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Ile de France : Grève au grand jour pour les travailleurs de l’ombre avec le soutien de la CGT

Douze mouvements de sans-papiers ont éclaté hier en Île-de-France pour exiger leur régularisation et dénoncer l’impunité patronale dans un contexte de débat nauséabond sur la politique migratoire. Certains ont déjà obtenu gain de cause.

Coup de chaud pour les employeurs de sans-papiers franciliens. Hier, à l’initiative de la CGT, douze piquets de grève ont pris forme simultanément à Paris, en Seine-Saint-Denis et dans les Hauts-de-Seine pour régulariser ces travailleurs exploités. Salariés de grandes enseignes comme KFC ou de simples restaurants, femmes et hommes de ménage de l’UGC Ciné Cité Bercy, du Campanile mais aussi forçats de l’intérim, tous ont cessé leur activité afin d’exiger un emploi légal.

Un mouvement d’une ampleur inédite depuis les grandes luttes de régularisation entre 2008 et 2009 qui avaient abouti à des milliers d’obtentions de Cerfa. Dans ce contexte de repli identitaire, avec le débat sur l’immigration lancé par Emmanuel Macron, la contre-offensive monte donc d’un cran. Marilyne Poulain, responsable confédérale du collectif migrants de la CGT, rappelle que « le patronat a tous pouvoirs d’accompagner une régularisation, ou pas. Souvent, il n’a pas d’intérêt à le faire. C’est aussi le bon moment pour redire que les travailleurs migrants contribuent au système de solidarité nationale ».

« Il faut qu’on montre qu’on n’est pas des esclaves ! »

Si 160 personnes ont entamé cette action, d’autres rejoignent le mouvement en route. L’agence d’intérim Proman, dans le 10e arrondissement de Paris, voit ainsi affluer des dizaines de travailleurs en quête d’une régularisation. « On était 36 ce matin, on est une bonne cinquantaine et les gens ne cessent d’arriver, note Philippe Tixier, secrétaire général de la CGT intérim.

La direction a dit qu’elle ne reconnaissait pas certains grévistes, c’est le baratin habituel. » Mahamadou, manœuvre sur les chantiers d’origine malienne, prépare cette mobilisation depuis des mois. « On nous donne parfois le travail de deux personnes parce qu’ils savent qu’on ne peut pas refuser. Nous avons aussi des polycontrats, on peut nous dire d’aller n’importe où dans la même journée. Il faut qu’on montre qu’on n’est pas des esclaves ! »

Les conditions de régularisation doivent être aussi revues, comme le souligne Elie Joussellin, secrétaire de la section du PCF, venu en soutien : « La circulaire Valls, qui demande cinq ans de présence sur le territoire et 36 fiches de paie, a vécu ! Le secteur du travail temporaire demeure le grand pourvoyeur de sans-papiers, les recrutant souvent en fermant les yeux sur les alias (identités d’emprunt). »

De fait, à quelques encablures, dans la cour de l’entreprise Haudecœur à La Courneuve (Seine-Saint-Denis), le ballet des camions venus d’Allemagne ou d’Espagne n’a pas cessé de la journée. Mais les habituels ouvriers amenés à les décharger se sont regroupés sous l’auvent. Dix travailleurs sans papiers ont rallié la CGT, arborant fièrement leurs couleurs pour obtenir leur régularisation. « Cela fait deux ans que je travaille ici, raconte Mohamed, 35 ans, pour Proman d’abord, puis Carelec.

On transporte des sacs de 50 kg de semoule sur les épaules. Avec 2 ou 3 personnes, on décharge 13 camions de 26 tonnes chaque jour. Parfois, je n’ai plus de bras, plus de dos. Mais on doit quand même travailler, sinon on ne nous rappelle pas. » À ses côtés, Abdoulaye espère beaucoup de cette action. « Avec des papiers, c’est plus facile de travailler, de garder un logement. » Quand il ne trouve rien en travail temporaire, il doit dormir dehors faute de revenu et a ainsi failli perdre l’usage de ses pieds. Les semelles orthopédiques qu’il a achetées lui ont coûté 130 euros. Mais n’ont pas été remboursées par la Sécurité sociale, faute de papiers.

Le Malien n’a pas non plus droit à l’aide médicale d’État, puisqu’il travaille. Mais même s’il cotise via son salaire, il ne peut bénéficier de la Sécurité sociale, du chômage, de la retraite… Alors, Abdoulaye accepte tous les boulots pour nourrir sa femme et ses trois enfants restés au Mali. « Sur cette photo, tu vois mes doigts brûlés : j’ai déchargé sans gants des produits sortis d’un camion frigorifique dans une autre entreprise où je travaillais au noir. » Comme le résume Jean-Albert Guidou, du collectif migrants de la CGT, « ici, il y a un abus d’intérim sur une activité pérenne du site et non un surcroît de travail.

L’entreprise doit remplir un Cerfa de promesse d’embauche pour ces travailleurs. » Si la DRH de l’entreprise a reçu sans agressivité militants et grévistes sur le site, elle a assuré que « la politique de cette entreprise familiale datant de 1932 est de fidéliser ses salariés ». Précisant même avoir une pile de propositions de CDI non acceptées par les intérimaires. Les dix grévistes n’en avaient jamais vu la couleur. Si Élisabeth Zelaci renvoie la responsabilité de la régularisation aux sociétés d’intérim, ces dernières ont très vite diligenté leurs représentants pour négocier avec les grévistes. Dès le milieu d’après-midi, Carelec assurait aux migrants et au syndicat vouloir délivrer sept Cerfa, faisant office de contrats de travail. Proman s’engageait à suivre pour les trois travailleurs restants.

« La direction cherche juste des employés dociles »

Rapidement, la plupart des employeurs concernés sont entrés en négociation, contraints de se mettre autour de la table à cause de la lumière crue jetée sur leurs pratiques. Au Flandrin, brasserie chic du 16e arrondissement, l’arrivée de quatre travailleurs sans papiers a engendré un mini-séisme dans l’ambiance feutrée. Dans cette alcôve Art déco, ces salariés triment à la plonge ou au nettoyage.

Assis sur un canapé en velours dans l’entrée, Souleymane, qui estime avoir été licencié sans raison, ne décampera avant d’être réintégré. « Il me reproche d’avoir mal rangé des choses, mais il ment », explique-t-il. Mine déconfite, le directeur Jacques Malafosse assure qu’il ignorait la situation réelle d’une partie de son personnel : « Il y a un an, nous avons eu un contrôle de police, tout était en ordre. Je suis d’accord pour régulariser, mais pas pour la réembauche. » Ambiance.

Pour Souleymane Sow, de l’union locale CGT, c’est tout vu : « On ne part pas tant que toutes les garanties n’ont pas été obtenues. Il dit que Souleymane ne respecte pas les conditions d’hygiène alors qu’il travaille à la plonge. La direction cherche juste des employés dociles. » Les salariés avaient déjà repéré dans quels coins ils pourraient s’enrouler dans leurs sacs de couchage pour la nuit. Finalement, après d’intenses tractations, les quatre salariés ont obtenu gain de cause. Souleymane sera embauché dans un autre restaurant pour un mois au minimum jusqu’à sa régularisation. Un sentiment nouveau de justice partagé hier par les employés de Polipro (société de nettoyage travaillant pour les foyers Adoma), qui ont levé le piquet avec l’assurance de papiers. Ailleurs, le bras de fer se poursuit.

Si la CGT et les salariés du restaurant KFC de la place d’Italie ont fini par discuter avec la DRH France du groupe, celle-ci tenait à obtenir une liste précise des salariés demandant des promesses d’embauche. Mais les syndicats sont prudents. Après avoir travaillé deux ans en CDI, Boubou Traoré a « avoué travailler sous un faux nom et demandé à être régularisé, mais le patron (l)’a forcé à démissionner. » « Nous voulons d’abord signer un protocole de fin de conflit qui inclut tous les salariés ayant travaillé dans cette entreprise », explique Boubacar Doucouré, membre du CSE central de KFC.

Lui-même était en grève dix ans plus tôt, lors de la première grande vague de mobilisation des travailleurs sans papiers. « J’ai été régularisé à la suite de cette grève », raconte le responsable syndical. Au restaurant japonais Sukiyaki, à deux pas de la place de la Bastille, la devanture restait également redécorée en fin de journée par une banderole CGT. Prenant une pause à l’extérieur pour respirer un peu, Guiro espère un dénouement heureux : « Je bosse dix heures par jour avec un seul jour de congé par semaine. Mes 1 500 euros de salaire sont à moitié payés au noir. Je n’ai pas le choix, je continue à me battre. »

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