Élections municipales. Après un mouvement des gilets jaunes qui a souligné une profonde crise sociale et une séquence électorale actant le divorce entre une partie des Français et leurs représentants, l’échéance de mars 2020 est-elle le bon espace pour réconcilier citoyens et politique ?
La crise de confiance dans le monde politique, mise en lumière par le mouvement des gilets jaunes à l’automne dernier, n’épargne aucun élu… ou presque. Les catégories populaires notamment, à la base de la contestation contre la hausse des taxes sur le carburant – vite élargie à la cherté de la vie, aux questions démocratiques, etc. – ne les mettent pas tous sur le même plan.
Car, si la dernière séquence, les élections européennes, a encore une fois fait la part belle au dégagisme et profité au Rassemblement national, celle qui se profile, la plus appréciée des électeurs, notamment parce qu’elle s’intéresse aux sujets du quotidien, pourrait réserver quelques surprises.
1 Face à l’austérité, des élus de proximité qui protègent
Un sondage OpinionWay pour l’Union nationale des centres communaux d’action sociale sur « les Français, leur maire et les élections municipales de 2020 », publié le 1er octobre par Public Sénat, illustre la sensation d’éloignement entre les citoyens et les élus des plus hauts échelons : 1 % seulement estiment que les députés européens « comprennent le mieux les préoccupations au quotidien », 3 % pour le président de la République, 4 % pour les parlementaires… Les maires, en revanche, sont plébiscités : 78 % des sondés s’estiment proches du leur.
Il faut dire que, parmi les préoccupations du quotidien mises en lumière par ce sondage et sur lesquelles le maire peut agir, plusieurs ont été pointées par les gilets jaunes, notamment dans les cahiers de doléances installés dans certaines mairies : la fiscalité locale (85 % des sondés), la sécurité (82 %), la santé (80 %) et l’environnement (79 %), ou encore l’action sociale (71 %) ou les transports en commun (68 %). Sur ce dernier point, par exemple, 80 % sont favorables à la gratuité. La crise sociale et politique se lit aussi par ce soutien au « maire qui protège ». Car, même si ces élus de proximité sont touchés par le « blues des maires » (1), ils sont identifiés comme des « remparts » face aux politiques d’austérité et à la centralisation accélérée par la Macronie (contractualisation des budgets des villes de plus de 50 000 habitants, métropolisation, etc.).
2 La République en Marche veut contourner l’obstacle
Comme dans l’ancien monde, les stratèges de LaREM lisent les sondages. Et les derniers, effectués par « Les Républicains », témoignant d’une bonne résistance des maires LR sortants, refroidissent les ardeurs des marcheurs. À Reims, le maire Arnaud Robinet raflerait 53 % des voix au premier tour, selon l’Ifop, contre 6 % pour l’avocat Gérard Chemla, investi par LaREM. Toujours selon l’Ifop, à Saint-Étienne et Caen, les sortants Gaël Perdriau et Joël Bruneau feraient de même, avec des intentions de vote dépassant les 40 %. Les listes macronistes ne franchiraient pas, face à ces sortants LR, les 8 %.
Depuis les résultats des européennes, où le Rassemblement national (RN) a devancé LaREM, le parti présidentiel revoit donc ses ambitions à la baisse. Fini le temps où Macron pouvait plastronner comme en 2017 : « J’ai fait 35 % au premier tour de la présidentielle à Paris, c’est pour nous ! » L’enjeu pour le mouvement, avoue désormais le délégué général adjoint, Pierre Person, « c’est de commencer à s’implanter localement, d’apprendre à gouverner une municipalité. Ce transfert de compétences nous servira à terme ». LaREM veut atteindre l’objectif de 10 000 élus municipaux, avec en tête les élections sénatoriales en septembre 2020 (en comparaison, il y a à ce jour 6 600 conseillers municipaux communistes et apparentés). Dans une élection où le sortant dispose en général d’une prime, LaREM privilégie l’investiture ou le soutien de sortants, issus du PS ou de la droite, plutôt que de prendre le risque d’une liste propre. C’est la stratégie choisie à Auxerre, Bourges, Rodez, Guérande, Nogent-sur-Oise ou Saumur. Ailleurs, le parti prend le risque de partir sous ses couleurs, comme à Nantes ou Soissons. À Asnières, c’est un conseiller du ministre Gérald Darmanin, Alexandre Brugère, adjoint au maire LR Manuel Aeschlimann, qui a été investi. Sans parfois être trop regardant sur les profils, ainsi l’investiture donnée à Courbevoie (Hauts-de-Seine) à une ex-LR, Aurélie Taquillain, proche par le passé de la Manif pour tous. Avec ces cartes brouillées, au soir du premier tour, LaREM compte éviter qu’apparaisse un échec.
3 De LR au RN, du PS à LaREM, une recomposition en cours
La République en marche n’est pas seule à vouloir occuper l’espace de la droite dite républicaine. Une autre force politique – dont Emmanuel Macron a d’ailleurs fait son « sparring partner » (partenaire d’entraînement) pour 2022 – avance par sa droite. Si le Rassemblement national a lui aussi revu ses ambitions à la baisse en nombre de candidatures pour ces élections municipales (il en présentait 595 au premier tour en 2014, pour 14 élus au final), c’est pour se concentrer à la fois sur les villes de moins de 3 500 à 10 000 habitants, où son influence va grandissant (entre 23,4 % et 27,5 % des suffrages aux élections européennes en moyenne), et sur des candidatures « d’ouverture ». Le parti d’extrême droite soutiendra, par exemple, pour la deuxième fois, le maire sortant Robert Ménard à Béziers, ou l’ex-adjointe LR Claire Marais-Beuil à Calais.
Du côté de LR, on ne peut plus s’appuyer sur un centre droit acquis à LaREM (le Parti socialiste a d’ailleurs le même problème pour le centre gauche, ce qui pousse nombre de maires sortants à rechercher l’étiquette LaREM, comme à Clichy-sous-Bois). Certains LR « qui n’ont plus grand-chose à perdre, auront peut-être la tentation de se rapprocher du RN », expliquait le chercheur Sylvain Crépon à Mediapart, le 14 septembre. « Certains le feront sans doute sans étiquette, à partir du moment où la direction de LR a été très claire, et en présentant leur liste comme le rassemblement “des bonnes volontés’’… » Marion Maréchal n’appelait-elle pas de ses vœux ce changement de pied dans le Figaro Magazine, avant sa fameuse convention, en pariant sur « l’effondrement de LR », « une opportunité », selon elle ? Selon un sondage Odoxa publié mardi par le Figaro, 57 % des sympathisants LR seraient favorables à des alliances avec le RN et 68 % des lepénistes.